En guise de curriculum vitae
Je suis née le 5 août 1976. C’est la sécheresse. Les vaches mangent la terre. Des paysans se suicident. Ma mère a 18 ans, elle m’allaite et tire son lait nourrissant ainsi plusieurs prématurés. Le médecin arrive, suivi par sept jeunes internes. Sans un mot, sans un regard pour elle, il soulève sa blouse et leur présente « les mamelles de la France ».
Milieu des années 1960, José mon grand-père portugais est ouvrier chez Renault Flin. Il vient d’arriver en France et vit dans des baraques à Carrière sur Seine. Sortir de l’usine. Faire des courses. Rayon conserves. Les moins chères. Il en prend plusieurs. Ses compatriotes se foutent bien de lui en le trouvant attablé devant sa boîte de pâté pour chien.
Deux mois après avoir pris sa retraite, il meurt d’une crise cardiaque dans ses trois rangs de vignes en Algarve.
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Tous les mardi, ma grand-mère Ginette, nous récupère ma soeur et moi à la sortie de l’école à Trappes. Direction Maules. Quand on arrive enfin, c’est pâles, secouées, nauséeuses. Les chiens aboient et l’odeur des chenils nous attrape. Grosse moustache blonde, visage poudré, ongles longs et soignés, chaîne, gourmette, chevalière et dents en or, Daniel, notre grand-père rayonne sur le perron.
Un jour, Daniel trouve Ginette au sous-sol en train de faire son repassage. Il la menace. Mais avant, il lui avait caché ses armes, sinon, elle s’en serait servi.
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Colonies de vacances. Frontière entre l’Allemagne et le Danemark. Un mono crie nos noms, chacun doit venir récupérer son passeport :
Stéphanie Martin !
Yann Fouchet !
Samuel Lecors !
Je me faufile rapidement pour être au plus près possible et lui arracher mon passeport des mains avant qu’il n’ai à prononcer mon nom :
Sonia Maria Adelia Camus Cabrita.
Leurs noms, moches, banals, ne sonnent pas mais sont courts, claquent et ne racontent pas toute leur vie. Ils ne racontent pas ton père, ta mère, tes grand-parents, la couleur de la terre, pourquoi ils sont parti, ce que tu bouffes au printemps, où tu pars en vacances. Les leurs sont pudiques, serrés, froids. Ce débalement d’histoires contenues dans nos noms.
Les Mureaux. Un HLM au milieu d’autres HLM au bord d’une nationale, à côté de chez Corail. Dans un deux pièces en rez-de-chaussée vivent : José Manuel Dias Cabrita, Maria Assunçao Dias Cabrita, mes grand-parents, Manuel Dias Cabrita, mon oncle et pour un temps, mon père, Sebastiao Dias Cabrita, ma mère, Brigitte Cabrita et moi.
Mercredi après-midi. Je joue devant l’entrée de l’immeuble. José et Maria me défendent d’aller au delà sinon ils risquent de me mettre dans un sac à patates et m’enlever. Ils, ce sont ceux du foyer de travailleurs du bout de l’aller, des Noirs et des Arabes .
Après plus de 70 années à chasser, Ginette n’a aucun trophée. Tous ceux qui sont exposé aux murs de la grange appartiennent à Georges, son mari. Lui qui ne trouvait pas toujours le courage de tuer un animal. Pour les Algériens, c’était différent par contre.
Que ce soit en 4L blanche, Ford Tonus bleu ciel, 505 break vert bouteille ou camion Renault bleu « gendarme » d’où mon chat Alfred s’échappe une nuit en Espagne, nous nous rendons en Algarve plusieurs fois par an. A l’approche d’une frontière, nous nous arrêtons, mon père descend de voiture, ma mère prend le volant et nous repartons sans lui. J’ai pour consigne de ne pas répondre aux questions si on m’en pose. Nous franchissons la douane et un peu plus tard, toujours au bord d’une petite route, il réapparait.